Andrew Logan Montgomery:
ÉCRIRE DES ÉNIGMES : L'ILLUMINATION DANS GLORANTHA, DEUXIÈME PARTIE
Note: Première partie juste au dessus dans le fil.
Babalon et la Déesse Rouge
Plusieurs siècles d'une extrêmement puissante institution religieuse exotérique ont conduit à la suppression systématique de l'ésotérisme en Occident. Pour des raisons de commodité - il s'agit d'un article sur Glorantha, pas sur l'histoire ecclésiastique - nous appellerons les diverses traditions religieuses ésotériques occidentales "gnostiques". En règle générale, le gnosticisme place l'expérience spirituelle personnalisée au-dessus des enseignements orthodoxes, ce qui l'a mis en guerre, à partir du 1er siècle de notre ère, contre l'Église Catholique en développement, puis dominante. Particulièrement plus tard dans l'histoire de l'Église, une façon commode de rejeter les traditions gnostiques était de les associer au Diable. Quels que soient leurs enseignements ou leurs intentions - et certaines traditions gnostiques dressaient un portrait favorable du Diable - les gnostiques étaient tous "sataniques" et donc les ennemis de l'humanité et mûrs pour l'extermination.
Cela ressemble étrangement à l'attitude de plusieurs cultes théistes glorantiens envers les Illuminés.
Au 19e siècle, le Gnosticisme était profondément enterré et de plus en plus souvent qualifié d'"occultisme". Encore une fois, nous simplifions un peu ici, mais l'affirmation est assez précise. Une grande partie de l'occultisme occidental, la Tradition Occidentale des Mystères, est essentiellement Gnostique. Aucun occultiste de l'époque, à cheval sur les 19e et 20e siècles, n'a peut-être été accusé de jouer dans l'équipe du diable plus qu'Aleister Crowley (1875-1947). Il est également juste de dire qu'aucun autre occultiste ne s'est autant réjoui de ces accusations. Surnommé "l'Homme le plus Malsain au Monde" par la presse britannique, Crowley a été accusé de culte du diable, de sacrifice humain, de corruption, d'asservissement, de déviance et de meurtre. Je suis sûr que plus d'un Poseur d'Enigmes Nysaloréen pourrait s'y reconnaître. Mais ce qu'il enseignait, ses doctrines et ses objectifs, sont
profondément Gnostiques, et une compréhension de base de ceux-ci est un moyen utile de faire revivre l'Illumination - en particulier le Septisme Lunar - à votre table de jeu.
Avant de commencer, mettons trois choses au clair. Premièrement, alors que nous allons établir de nombreux parallèles entre la Déesse Rouge, la Voie Lunar et la philosophie
de Thelema de Crowley, personne ici ne dit que Greg Stafford était un Thélémite ou qu'il a intentionnellement modelé la religion de l'Empire Lunar sur les enseignements de Crowley. Ces parallèles (et comme vous le verrez, il y en a beaucoup) semblent plutôt découler du fait que Crowley et Stafford ont tous deux creusé profondément dans les mêmes mythologies. Deuxièmement, il ne s'agit pas d'un essai sur la Théléma, le qabbalisme, ou tout autre concept qu'il abordera. Nous sommes ici pour parler de Glorantha en tant que cadre, de RuneQuest en tant que jeu, et de la façon de rendre ces concepts jouables dans le contexte des deux. Troisièmement, bien que je sois moi-même un Thélémite, je ne suis pas ici pour faire du prosélytisme auprès du lecteur, de quelque manière que ce soit. Techniquement, Thelema l'interdit. Ceci mis à part, entrons dans le vif du sujet.
Babalon/Déesse Rouge
Il existe un certain nombre de déités thélémiques, et Crowley les conceptualise comme un sorcier Malkioni. Chacune est considérée comme une manifestation d'un principe cosmique abstrait, et chacune est une émanation de ce que nous pourrions appeler en définitive sa version du Dieu Invisible. Thelema a des divinités comme Nuit et Hadit (nous y reviendrons plus tard), Ra Hoor Khuit, et le Saint Ange Gardien... mais c'est Babalon, la Femme Ecarlate, la Fiancée du Chaos, qui est probablement la plus reconnaissable dans le panthéon Thélémique.
Et pour cause. Elle est sans doute la plus importante.
Déesse de la Lune, Maîtresse du Temps, Sœur du Chaos... elle a entrepris une quête divine pour trouver sa Septième Âme... et a ramené le don de l'Illumination dans le monde... elle est revenue dans le monde en 1232, chevauchant le démon du Chaos connu sous le nom de Chauve-Souris Pourpre. L'Illumination est une partie essentielle de la religion Lunar et elle embrasse des pouvoirs apparemment incompatibles comme la Vie et la Mort...
"La Déesse Rouge", Glorantha (The Glorantha Sourcebook), p. 149
Outre la similitude de leurs titres - " écarlate " et " rouge ", " femme " et " déesse " - Babalon et la Déesse Rouge combinent en elles-mêmes toutes les dualités et contradictions. C'est d'ailleurs la fonction de Babalon dans la mystique thélémique.
La notion Thélémique d'Illumination - que Crowley appelle plus souvent Illuminisme - repose sur l'union des opposés. Le Zéro (Rien ou "non-chose" car il ne peut être mesuré, décrit ou défini) est un symbole de cette union. Le Zéro équivaut à l'infini. Tous les nombres et leurs opposés sont contenus dans le Zéro : 1 + -1, 2 + -2, 10.000 + -10.000, etc. Pour Crowley, le dépassement de la fausse dualité (homme et femme, obscurité et lumière, vie et mort) est donc essentiel à l'union ultime, celle du sujet et de l'objet, du Soi et du Non-Soi, du Microcosme et du Macrocosme. Cette expérience est "l'état zéro".
La création, à l'inverse, est l'acte de ce Rien parfait, le Vide, qui se divise en opposés. C'est le cas même dans la Genèse. L'abîme, sans forme et vide, est divisé en lumière et ténèbres, jour et nuit, humidité et sécheresse, mâle et femelle, etc. Dans Glorantha, c'est bien sûr le Chaos Primal, d'où émergent les Runes Elémentaires, suivies des Runes de Pouvoir, de Condition et de Forme, en paires d'opposés bien ordonnées.
Pour Crowley, Babalon est la réunion mystique des opposés pour atteindre une fois de plus cet état transcendant. Elle accepte toutes choses, et toutes choses sont unies à leurs opposés en elle. La Déesse Rouge remplit une fonction parallèle Gloranthienne. Elle unit la Mort et la Vie, l'Illusion et la Vérité, le Chaos et le Cosmos. C'est le premier point, alors. Babalon et la Déesse Rouge représentent tous deux l'Illumination via la réconciliation des opposés.
Septisme
Selon Greg Stafford, dans la religion Dara Happan, on dit que l'individu a six âmes. Chacune d'entre elles est associée à un dieu spécifique : Dendara, Lodril, Oria, Dayzatar, Gorgorma et Yelm. L'Illumination Lunar est appelée "Septisme", car elle postule une Septième âme qui s'éveille pendant l'Illumination et unit toutes les autres. Cette âme est associée à Rashorana, soit le dernier des dieux nés, soit le premier dieu du Chaos. Rashorana s'est incarné - les Lunars l'enseignent - au Premier Âge sous le nom de Nysalor.
Bien sûr, nous savons aussi que la Déesse Rouge avait Sept Mères, et qu'il y a Sept Phases de la Lune Rouge. Mais le chiffre sept appartient aussi à Babalon.
Le Sceau de Babalon, sept points, sept lettres, et un max de septs.
Encore une fois, ce n'est pas un essai sur la théorie ésotérique des nombres ou la Qabalah (si vous voulez ceux-là, regardez
ici... J'ai écrit cinq essais sur le sujet en octobre 2016 et ils restent les articles les plus lus sur le blog aujourd'hui). Je vais donc garder les choses simples ici.
Fondamentalement, Crowley accordait beaucoup d'importance à l'Arbre de Vie, un concept emprunté à la kabbale hébraïque. Il s'agit d'un plan conceptuel de l'esprit de Dieu ainsi que de l'âme humaine. Lu de haut en bas, il montre le processus de création divine... mais de bas en haut, il montre le processus de retour au divin. C'est tout ce que vous devez savoir pour suivre le reste.
L'Arbre de Vie propose également des âmes multiples, ou des portions de la psyché humaine. Je vais vous épargner l'hébreu et faire simple. Les trois cercles au-dessus de la ligne rouge sont essentiellement les parties de nous qui sont sacrées. Ils sont, en fait, indissociables les uns des autres. Si cela peut vous aider, considérez-les comme le point, le rayon et la circonférence d'un cercle. Trois choses qui ne font qu'une. Nous reviendrons sur eux.
Sous la ligne rouge se trouvent des parties de nous qui nous sont plus familières. En mettant de côté le corps pour un moment, l'Illuminisme de Crowley consistait à éveiller et à maîtriser ces six aspects de notre psyché, tout comme Greg a décrit l'éveil des âmes Dara Happan. C'est alors que l'Illuminé atteint la Septième... numéro 3 sur l'illustration ci-dessous. C'est la sphère où habite Babalon. Elle est donc la "Septième Âme", là où tous les opposés se rejoignent.
Ingénieux, hein.
Chaos
Mais que se passe-t-il lorsque vous transcendez tous ces opposés ? Eh bien, vous êtes introduit dans le cercle numéro 2 sur ce diagramme. Le 3 est Babalon, mais le 2 appartient à To Mega Therion, la Grande Bête, également connue sous le nom de Chaos.
Sans haut ni bas, sans gauche ni droite, sans bien ni mal, il nous reste le Chaos. Et le numéro 2 sur l'arbre est décidément sinistre. Vous vous souvenez quand j'ai dit que de haut en bas, c'était une carte de la création divine ? Eh bien, le cercle 1 représente l'unité... le cercle 2 représente la désunion, le Tout qui se déchire. La théologie chrétienne mettrait le Diable ici. Peut-être qu'une meilleure façon de penser à ces trois premiers est la thèse (1), l'antithèse (2) et la synthèse (3). Autrement dit, 1 est l'univers contracté, 2 est le Big Bang - un holocauste énorme, violent et terrible - 3 est l'endroit où l'explosion se refroidit et où la matière et le cosmos commencent à se former.
Le Chaos est donc dangereux, indompté, sauvage... et a donc besoin de Babalon pour le contrôler. Empruntant au Livre des Révélations, Crowley utilise l'image de Babylone la Grande chevauchant la Bête, comme on le voit dans cette représentation tirée de son jeu de Tarot,
le Livre de Thot.
Le Onzième Atout du Tarot
Maintenant, si vous trouvez étrange qu'Aleister ait choisi d'utiliser la Prostituée de Babylone et la Bête comme des symboles essentiellement positifs, laissez-moi vous dire rapidement qu'il pensait que le Livre des Révélations était une bonne chose, et que le monothéisme exotérique devait être démoli et remplacé. Comme bon nombre de gnostiques avant lui, il a pris des figures négatives de la Bible et en a fait des figures positives sur le plan conceptuel.
Cependant, l'image d'une déesse unificatrice chevauchant une manifestation sauvage du Chaos - Chaos qu'elle a apprivoisé à ses fins - est immédiatement familière aux Gloranthophiles.
Extrait du Glorantha (Glorantha Sourcebook).
Dans les deux cas, la Chauve-Souris Pourpre et la Grande Bête, nous assistons à la mise en œuvre d'une idée
très similaire. Dans le cas de la Thélème, en apprivoisant le Chaos, Babalon réunifie le cosmos et nous sommes ramenés au cercle 1, l'Unité. C'est essentiellement l'argument que les Lunars avancent. Le Chaos est dangereux, mais il fait partie de l'Univers et il doit être contrôlé. Une fois apprivoisé, l'univers peut être guéri et retrouver son unité.
Mais il y a un point plus profond à soulever ici.
Le Chaos Primal, le Vide dont parlent les Dragons, est l'état du Zéro Parfait qui a précédé le cosmos. Ce n'est que lorsque ce Chaos Primal a commencé à être divisé en Runes élémentaires, de forme, de condition et de pouvoir que le Chaos inférieur, la Rune du Chaos, a été formé. Ce Chaos, le moindre Chaos, est celui qui doit être apprivoisé pour que vous puissiez revenir à l'état originel de transcendance. Crowley a symbolisé cela avec une formule mathématique, 0 = 2. Le Chaos Primal se déchire en 2, ou plutôt en n et -n. Cet état de dualité est le mauvais, le moindre Chaos. Une fois la dualité réconciliée, c'est à nouveau la transcendance.
Alors attendez une minute...
...est-ce que vous dites sérieusement que la Déesse Rouge est fondamentalement Babalon ?
Non.
Comme je l'ai dit auparavant, Greg et Aleister travaillaient avec des concepts mythologiques très similaires. Je ne sais pas honnêtement dans quelle mesure Greg avait la Prostituée de Babylone à l'esprit quand il a écrit que la Déesse Rouge balayait le monde sur le dos d'une bête géante du Chaos, mais si nous enlevons une autre couche de l'oignon, nous pouvons poser une question encore plus passionnante.
Qui était la Prostituée de Babylone ?
La plupart des spécialistes de la Bible vous diront que "Babylone la Grande" dans le Livre des Révélations est en fait l'Empire Romain. Comme Babylone avait autrefois tenu le peuple juif en captivité, l'Apocalypse apparaît alors qu'un autre empire, Rome, l'a réduit en esclavage. J'ai la nette impression que si vous pouviez expliquer la référence biblique de la Prostituée de Babylone à un Sartarite pendant l'Occupation Lunar, ils seraient heureux de faire des parallèles avec la Déesse Rouge.
Mais l'image elle-même a une histoire bien plus profonde que la référence biblique, et c'est pourquoi Stafford et Crowley en ont tous deux utilisé des variantes. Au moment où Rome devient un Empire, la déesse anatolienne Cybele a été adoptée par l'Imperium. Elle était appelée Magna Mater, la Grande Mère, et était considérée comme la mère de l'Empire et la manifestation de son pouvoir et de son autorité. Nous avons un certain nombre de représentations d'elle couronnant les empereurs romains. Il s'agit probablement de la "Prostituée de Babylone" dont parlaient les rebelles juifs, car Cybèle avait pour monture un lion.
Magna Mater
En tant que mythologue, Greg savait (comme Crowley) que cette déesse était bien plus ancienne que Rome. Bien avant l'Imperium, avec des racines dans l'Âge du Bronze ou plus anciennes, nous trouvons une déesse associée aux lions, à la souveraineté et aux hauts lieux. Nous la voyons sur les sceaux Minoens :
En Mésopotamie, on l'appelait Inana et Ishtar :
Et son culte était si répandu qu'elle demeure en Inde aujourd'hui sous le nom de Mahadevi, la Grande Déesse :
Quand j'aborde le travail de Greg dans Glorantha, j'essaie toujours d'éviter de regarder une seule source, car il n'y en a jamais vraiment une. Les Orlanthi pourraient être nordiques, celtes, grecques ou tout autre peuple indo-européen. Les Lunars pourraient être romains, perses ou babyloniens, etc. L'une des raisons pour lesquelles Glorantha semble si réel, c'est que nous le reconnaissons tous, car il s'inspire de mythologies qui transcendent toute culture donnée.
Retour à Babalon...
J'espère que tout ceci vous a donné matière à réflexion, à mâcher, à avaler ou à recracher comme bon vous semble. Cependant, alors que je continue à travailler sur The Final Riddle, Babalon m'a été utile pour combler certaines lacunes du Septisme. Je pense qu'elle et la Déesse Rouge sont deux manifestations d'un mythe plus profond. J'ai fait allusion à leur association dans Le Loup à Sept Queues, mais comme The Final Riddle porte sur l'Illumination, j'ai pensé qu'il serait utile de partager mes réflexions ici.
Merci de votre lecture !